LCP - Libre circulation des personnes
La libre circulation des personnes, est un principe qui permet aux "citoyens de l'Union Européenne" de s'installer dans tout les pays membres de l'UE sous certaines conditions.
Personenfreizügigkeit en allemand, Libera circolazione delle persone en italien.
Dimension identitaire
Le principe de libre circulation des personnes (LCP) est constitutif de l’intégration européenne depuis les Traités de Rome de 1957. Son application a pris un nouvel essor avec la création de la citoyenneté européenne dans le traité dit « de Maastricht » (1992). A partir de cette époque, le Conseil européen, la Commission et la Cour de Justice de l’UE ont progressivement approfondi la LCP : suppression des contrôles personnels aux frontières intérieures (consolidation des accord de Schengen de 1985 et 1990 dans le Traité d’Amsterdam de 1999), libre établissement, libre accès aux marchés nationaux du travail et aux prestations sociales[1]. Il s’agit de créer et de développer un sentiment d’européanité, c’est-à-dire d’appartenance à une même communauté continentale, avec ses valeurs propres[2].
Dimension économique
La libre circulation des personnes est considérée par l’UE comme la première de quatre libertés économiques fondamentales dites « de circulation », destinées à fluidifier le marché intérieur européen.
Libertés de circulation de l'UE :
- libre circulation des personnes
- libre circulation des capitaux
- libre circulation des marchandises
- libre circulation des services.
L’objectif de ces "libres circulations" est principalement de réduire les écarts de prix et de salaires entre États membres[3]
Adoption partielle par la Suisse
En décembre 1992, les Suisses refusaient d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE). Ce marché comprend l’UE, plus la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, qui ont adhéré à cet EEE en mode multilatéral solidaire (un retrait entraînerait les deux autres). La Suisse et l’UE ont convenu par la suite de deux groupes d’accords sectoriels simplement bilatéraux. Les deux éléments principaux sont l’Accord sur la libre circulation des personnes (LCP) et l’accord sur l’adhésion à l’espace Schengen/Dublin. Pour le reste, il s’agit essentiellement d’accords commerciaux non tarifaires (facilitations administratives) et d’accords de coopération. Ces traités se superposent ainsi aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et du Traité de libre-échange de 1972 (hors agriculture).
Ces accords ont été négociés sur un plan d’égalité juridique entre les deux partenaires, avec comités paritaires pour le règlement des différends. A part l’Accord sur le transport aérien et l’Accord sur l’adhésion à l’espace Schengen, ils n’impliquent pas de reprise des acquis, ni de reprise de droit européen évolutif (futurs directives et règlements). En adoptant le principe de LCP, la Suisse est cependant devenue compatible avec le marché européen et ses quatre libertés fondamentales. Les Européens estiment ainsi qu’elle fait mieux qu’ « accéder » au grand marché européen : elle y « participe » (au sens de « faire partie »)[4].
ALCP et Accords bilatéraux I
L’Accord sur la LCP (ALCP) fait partie des sept Accords sectoriels bilatéraux I[5]. Son champ d’application est plus étroit que la LCP entre Etats membres. Il est davantage orienté marché du travail. Les ressortissants européens doivent avoir un emploi pour s’établir durablement en Suisse, ou les moyens de ne pas dépendre de prestations sociales (indépendants et rentiers). La réciproque est valable pour les Suisses non binationaux s’établissant dans l’UE[6].
Le libre accès des frontaliers au marché du travail fait partie de l’accord Suisse-UE sur la LCP[7].
Cet Accord sur la LCP était de loin le plus sensible des Bilatérales I sur le plan politique. Pour éviter que les Suisses reviennent en arrière, avec des initiatives populaires par exemple, les négociateurs ont convenu d’un parallélisme juridique entre les accords bilatéraux I (clause guillotine). Si l’un des sept accords est résilié par l’une des parties (la LCP par exemple), c’est l’ensemble qui devient caduc[8].
Les Bilatérales I ont été largement acceptées en vote populaire en mai 2000 (67,2% des votants). L’approbation des cantons n’était pas nécessaire. Le référendum a été lancé par différentes entités politiques. Divisé, le parti populiste gouvernemental UDC a officiellement recommandé l’acceptation.
LCP et Accords bilatéraux II
Les sept Accords bilatéraux II conclus en 2004 comprennent principalement l’accord sur la participation de la Suisse à la coopération de Schengen/Dublin en matière de sécurité et d’asile (coopération dans les domaines de la justice, de la police, de l’asile et de la migration). Cet accord a eu pour effet la fin des contrôles d’identité aux frontières de la Suisse. Dans les files d’attente différenciées des postes frontières et des aéroports internationaux, les Suisses sont depuis lors aiguillés comme des ressortissants de l’UE. Dans le public, le terme « libre circulation des personnes » est souvent compris en premier lieu par rapport à cette facilité, plutôt qu’au sens des Bilatérales I (libre accès réciproque au marché du travail)[9]. Les Bilatérales II n’ont pas fait l’objet d’un vote populaire collectif. Seul Schengen/Dublin a été contesté par référendum facultatif (venant de l’UDC). L’accord a été accepté en juin 2005 par 54,6% des votants[10].
Effets démographiques et économiques
Lors de la campagne politique pour ou contre les Bilatérales I, la LCP a figuré au centre des débats. Les estimations d’immigration européenne annuelle nette supplémentaire en cas d’acceptation ont varié entre 8000 (fédération des entreprises economiesuisse) et 10 000 personnes (Conseil fédéral)[11]. Entre 2007 (application complète de la LCP) et 2023, cette immigration européenne moyenne nette a été en réalité de plus de 48 000 personnes. Davantage que la ville de Neuchâtel. Contingentée, l’immigration extra-européenne nette moyenne (sans les demandeurs d’asile) a été de quelque 20 000 personnes[12].

L’emploi augmente, et l’immigration européenne répond aussi à un besoin de remplacement dans la population active (départs à la retraite). Durant cette période de 17 ans, il n’y a pas eu de corrélation en rythme annuel entre niveaux d’immigration européenne nette et croissance du produit intérieur brut (PIB). 2008, année de crise financière grave, est restée comme une millésime record. Suivie de 2023 (près de 70 000 entrées nettes), en période de basse conjoncture (0.7% de croissance du PIB).
Il n’y a pas non plus de corrélation sous l’angle du chômage. Les taux de chômage en Suisse se sont stabilisés aux niveaux européens. Ils oscillent au fil des ans entre 4.4% et 5% en comparaison BIT. 7 Etats membres font mieux, 18 moins bien[13].
Débats et oppositions
Les effets économiques bénéfiques de la libre circulation au sens des Bilatérales I ont été constestés de différentes manières. Très engagé et bon connaisseur du dossier, le journaliste romand François Schaller rappelle régulièrement qu’il s’agit d’une simple facilité administrative, mais qu’elle n’est pas du tout nécessaire pour accueillir tous les salariés, indépendants et rentiers qui veulent s’établir en Suisse. Le pays suffisamment attractif sur le plan salarial et linguistique (l’immigration européenne est surtout issue des pays limitrophes). Dans les années 1990, les contingents d’immigration n’étaient jamais atteints. La suppression de la LCP ne représenterait pas un danger pour l’industrie ni les services privés ou publics [14].
L’UDC reproche à la LCP, responsable à ses yeux de l’immigration européenne de masse, d’avoir grandement contribué à une baisse de la productivité des activités économiques (valeur ajoutée per capita). Le phénomène s’observe dans d’autres pays de l’OCDE, mais pour des raisons diverses [15].
Les effets démographiques de l’application de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE ont suscité trois initiatives populaires venant de l’UDC. Les trois étaient destinées à forcer la résiliation unilatérale de cette LCP au sens des Bilatérales I, ou à la vider de sa substance.
Initiatives populaires
« Contre l’immigration de masse »
Initiative « Contre l’immigration de masse » : elle demande une politique migratoire autonome. Elle a été acceptée en février 2014 par 50,34% des votants et la majorité des cantons. L’immigration européenne nette avait été d’environ 60 000 personnes les deux années précédentes.
L’Union Européenne a aussitôt décidé de sanctions contre la Suisse (suspension du statut d’associé dans le programme de recherche Horizon). Le nouvel article constitutionnel (51a) n’a finalement pas été appliqué, le Conseil fédéral et le Parlement faisant valoir des difficultés avec Bruxelles[16].
« Pour une immigration modérée »
Initiative « Pour une immigration modérée » : plus explicitement dirigée contre la LCP, l’initiative est refusée en septembre 2020, en période de crise sanitaire (Covid), par 61,7% des voix et la majorité des cantons. L’immigration européenne était restée en dessous de la moyenne les quatre années précédentes.
« Pas de Suisse à 10 millions »
Initiative « Pas de Suisse à 10 millions ». Elle a été déposée, mais la date du vote populaire n’a pas encore été fixée[17]. (Octobre 2024)
L’UDC reste également opposée à la libre circulation des personnes au sens des Bilatérales II (Schengen/Dublin), mais n’a pas lancé d’initiative populaire pour y mettre fin.
LCP et Accords cadres institutionnels
L’accord cadre institutionnel négocié dans les années 2010 (INSTA) prévoyait un « alignement dynamique » de l’économie suisse sur le droit européen en commençant par le marché du travail. Il s’agissait en particulier d’un élargissement et d’un approfondissement de la LCP. Le marché suisse du travail étant considéré à Bruxelles comme faisant partie du marché européen, la Suisse aurait dû adopter progressivement l’ensemble des directives et règlements communautaires « pertinents » (susceptibles d’impacter les traités). Il s’agit d’éliminer toute forme de discrimination des citoyens européens par rapport aux Suisses [18]. Y compris la directive européenne sur la citoyenneté de 2004, qui règle entre autres l’accès à certaines prestations sociales. Les effets de l’accord institutionnel sur le marché du travail et l’accès aux prestations sociales sont très controversés[19].
L’INSTA a été abandonné par le Conseil fédéral en 2021, le gouvernement estimant qu’il n’avait aucune chance d’être accepté par le Parlement et le corps électoral. Il a été réintroduit sous forme édulcorée et « verticale » dans les discussions et négociations Suisse-UE du début des années 2020 (INSTA 2.0 incorporé dans chaque accord sectoriel nouveau ou révisé). En plus de l’UDC, l’Union syndicale suisse (USS) et l’aile syndicale du Parti socialiste y sont opposés. Ils estiment que l’accord cadre institutionnel, en particulier le rôle dévolu à la Cour de Justice de l’Union Européenne, représente un danger pour les mesures d’accompagnement à la LCP, obtenues au Parlement dans les années 1990, de même que pour les salaires et l’emploi[20].
Références
- ↑ https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/147/la-libre-circulation-des-personnes
- ↑ https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-libre-circulation-des-personnes/
- ↑ https://www.assas-universite.fr/fr/droit-europeen-des-affaires-1043#:~:text=Le%20droit%20européen%20des%20affaires,européen%20et%20expliquent%20sa%20réussite.
- ↑ https://www.eda.admin.ch/europa/fr/home/bilateraler-weg/ueberblick.html
- ↑ https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/themen/fza_schweiz-eu-efta.html
- ↑ https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/themen/fza_schweiz-eu-efta.html
- ↑ https://www.frontalier.org/accords.htm#:~:text=La%20libre%20circulation%20des%20personnes,depuis%20le%201er%20juin%202014.
- ↑ https://www.foraus.ch/posts/accord-institutionnel-et-clauses-guillotines-une-impression-de-deja-vu/
- ↑ https://www.eda.admin.ch/europa/fr/home/bilateraler-weg/ueberblick/chronologie-abstimmungen/bilaterale-1.html
- ↑ https://www.eda.admin.ch/europa/fr/home/bilateraler-weg/bilaterale-abkommen-2/schengen.html
- ↑ 20debates/Il_existe_une_spirale_du_silence_ganzer_Artikel.pdf
- ↑ https://www.bfs.admin.ch/asset/fr/32229293
- ↑ https://fr.statista.com/statistiques/1309140/part-chomeurs-population-active-union-europeenne/
- ↑ https://blogs.letemps.ch/francois-schaller/2019/09/11/genealogie-de-la-libre-circulation-des-personnes/
- ↑ https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/economie-nationale/productivite.assetdetail.32258879.html
- ↑ https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_«_Contre_l%27immigration_de_masse_»
- ↑ https://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_fédérale_suisse_«_Pour_une_immigration_modérée_»
- ↑ https://commission.europa.eu/document/download/c0441a72-c5c0-40d0-900f-c8af7d9b1a04_fr?filename=Guide%20to%20EU%20citizenship_FR.pdf
- ↑ https://www.swissinfo.ch/fre/politique/directive-sur-la-citoyenneté-est-ce-le-monstre-que-nous-craignons/46627232
- ↑ https://www.uss.ch/themes/travail/detail/les-syndicats-ne-peuvent-pas-sassocier-a-une-deterioration-de-la-protection-des-salaires